24 février 2016

Données Partagées s’est entretenu avec celui qui, disrupteur au début des années 80, occupe depuis 30 ans un rôle central dans notre monde professionnel, Monsieur Jean-Michel Aulas !

Données partagées : Jean-Michel Aulas, vous avez fait évoluer la profession comptable au début des années 80 en lançant Cegid. Pouvez-vous nous rappeler les éléments disrupteurs de l’époque qui ont révolutionné la profession ?

Jean-Michel Aulas : Il y a eu à l’époque deux éléments disrupteurs majeurs, de nature d’ailleurs différente, qui se sont conjugués : la mise en place du nouveau plan comptable 82 et l’émergence de la micro-informatique. L’un amenait à revoir en profondeur la tenue de comptabilité et des aspects fonctionnels, l’autre désacralisait les aspects techniques de l’informatique réservée jusque-là à quelques sachants.

La conjugaison de ces deux disruptions a permis aux cabinets d’expertise comptable de revoir globalement leur solution informatique en l’internalisant à des coûts bien inférieurs à leurs solutions partagées entre leur cabinet et des prestataires de traitement à façon.

Du jour au lendemain, les cabinets pouvaient, par exemple, modifier des écritures en temps réel et produire immédiatement leurs états destinés aux clients ce qui a été très significatif tant sur le plan de la productivité en supprimant les temps d’attente et les ruptures de traitement d’un dossier que sur celui du service client.

Cegid a été en quelque sorte le “Uber“ de l’époque vis-à-vis des grands fournisseurs de solutions informatiques qui, pour protéger leurs rentes, ont tardé pour prendre en compte les changements profonds qui s’opéraient.

Vous accompagnez la profession depuis presque 35 ans maintenant. Quelles sont ses évolutions les plus importantes à vos yeux ?

Sur le plan technique, c’est bien sûr la formidable évolution des moyens informatiques.

On est passé, concernant la “production“ dans les cabinets d’expertise comptable, de postes informatiques réservés à un pool d’opérateurs de saisie vers le poste, voire même le double écran, pour tous les collaborateurs du cabinet avec, conjointement, la généralisation de l’utilisation de la messagerie au bureau ou en mobilité.

Sur le plan des évolutions fonctionnelles, les cabinets ont évolué vers des solutions de plus en plus intégrées autour de bases de données optimisées.

Quelles sont les évolutions à venir qui, toujours selon vous, vont impacter le plus la profession ?

Nous n’achetons plus aujourd’hui comme nous achetions il y a 5 ans. Sans forcément acheter sur Internet, on achète “avec“ internet et les experts-comptables et leurs clients suivent cette tendance.

On ne consommera plus non plus les services de la profession comptable, à l’instar de la banque ou de l’assurance, de la même manière. Les comportements des particuliers, désormais habitués à ce mode de consommation passent de plus en plus vite dans le monde professionnel. C’est encore plus vrai pour les micro-entreprises, les artisans et les commerçants qui constituent l’essentiel de la clientèle des experts-comptables.

Dès lors, il est inconcevable que les services comptables au sens large ne soient pas impactés par la Révolution Numérique et les solutions cloud.

Et il ne s’agit pas simplement d’un changement d’outil. Les professionnels vont devoir repenser complètement leurs offres de services, qui incluront, leur savoir-faire, l’outil et la prestation.

Demain, toutes les solutions progiciels seront consommées au travers du cloud directement chez l’éditeur entraînant ainsi la disparition à terme des hébergeurs indépendants.

L’un des enjeux majeurs sera de proposer des liens intelligents entre les différentes solutions cloud qui apporteront des valeurs ajoutées déterminantes dans l’utilisation des solutions par les experts-comptables. Un autre enjeu majeur sera d’offrir aux experts-comptables la possibilité d’enrichir leur panel de services proposés au travers de leur portail collaboratif avec leurs clients et partenaires et ceci grâce aux solutions cloud.

Par rapport à ces évolutions annoncées, quelle stratégie pour Cegid ?

Face à une disruption qui affecte vos clients, vous avez 3 comportements possibles :

• soit dire à vos clients d’y aller, en leur souhaitant bon courage ! Ils vont y aller, réussir ou échouer, mais vous les perdrez car vous ne les aurez pas accompagnés ;

• soit vous leur dites “Ok, nous y allons ensemble“, c’est plus sympathique, mais en cas de problème vous perdrez sans doute tous les deux !

Il reste une troisième solution : y aller vous-même dans un premier temps à fond, peut-être tomber dans certains pièges, en sortir, Bref passer le cap de la disruption et au moment où vous serez prêts, tendre la main à vos clients et leur dire “Venez, je vais vous montrer“. Cegid a depuis toujours favorisé cette posture.

En créant de toute pièce le premier cloud privé à destination de la collaboration entre la profession comptable et ses clients, nous avons “défriché un terrain“ qu’aucun de nos compétiteurs ne maîtrise aujourd’hui à ce point. Et en 4 ans, plus de 2 000 experts-comptables de 1 à 650 collaborateurs, ont rejoint le cloud Cegid pour eux-mêmes et ont connecté, à aujourd’hui, plus de 50 000 TPE, et nous projetons les 100 000 connexions collaboratives à fin 2017.

Croyez-vous que les experts-comptables sauront utiliser ces gains de productivité annoncés pour aller vers le conseil et surtout le facturer ? On le prédisait déjà à la fin des années 80 et ça ne s’est pas passé ?

La difficulté, c’est qu’en entrant dans “l’arène“ du cloud, le professionnel doit souscrire à ses règles. Elles sont au nombre de 3 : “better, cheaper, faster“, mieux, moins cher et plus vite, des contraintes a priori complètement antinomiques pour un Expert-comptable.

C’est là qu’il faudra imaginer de nouveaux modèles où, à notre sens, la collaboration, le co-travail entre le client et l’expert sont déterminants. Mais il faut aussi travailler à la robotisation des tâches de production, et surtout à l’analyse de la donnée pour permettre la construction d’indicateurs de pilotage de l’activité et du cabinet et de ses clients. C’est en combinant ces trois principes que les cabinets sauront s’adapter.

On parle beaucoup “d’ubérisation de la profession“. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Il convient de rappeler ce que recouvre l’ubérisation. C’est en fait le passage de la relation classique entre un fournisseur et son client vers une triangulation dans laquelle un acteur qui utilise le potentiel du numérique vient s’immiscer entre le fournisseur, et son client, conduisant ainsi le fournisseur qui est celui qui délivre la vraie valeur ajoutée, à perdre sa relation directe avec le client et à devenir le sous-traitant d’une place de marché. Ce danger guette de très nombreuses professions à l’instar de ce que nous connaissons pour les taxis, l’hôtellerie ou les transactions immobilières.

Mais ce n’est évidemment pas une fatalité, dès lors que le fournisseur qui est, en fait, celui qui produit le service, se digitalise et digitalise sa relation avec son client. C’est toute la stratégie de partenariat de Cegid avec la profession comptable qui consiste, non pas à s’interposer entre l’expert-comptable et son client, mais bien de fournir au cabinet comptable les outils digitaux pour lui permettre de conserver et développer sa relation avec son client. Je pense même que pour les professions déjà “ubérisées“, nous assisterons à un mouvement de “reverse ubérisation“. C’est ce à quoi nous assistons avec les compagnies de taxis, l’initiative d’Accor face à Booking ou celui des grands réseaux d’agents immobiliers face à seloger.com.

Pour terminer sur ce point, je suis étonné de voir certains professionnels et, parfois d’élus de votre profession, se laisser tenter par des acteurs dont le modèle repose précisément sur une forme d’ubérisation. Voilà un point où le professionnel a un choix à faire, un choix stratégique, déterminant pour la valorisation même de sa clientèle et de son activité.

Quelle est la stratégie de Cegid pour permettre aux cabinets de “s’ubériser“ eux-mêmes en accélérant leur digitalisation ?

Cegid se place résolument sur l’orientation stratégique de proposer à la profession comptable les solutions qui lui permettent de garder la relation directe avec ses clients et c’est l’enjeu du choix du cloud !

Les solutions pour les experts-comptables ont longtemps été des solutions “monolithiques“ regroupant des services de production sociale et comptable. Leur utilisation était optimisée pour un collaborateur “expert métier“ avec comme unique but de produire le plus possible, le plus vite possible. Aujourd’hui, si, comme nous le conseillons à nos clients, ils souhaitent moderniser leur offre au travers de la digitalisation, il faut imaginer des expériences utilisateur orientées “client final“, intuitives, conviviales, assistées. Il faut aussi que chaque action du client final entraine une restitution à valeur ajoutée. Notre offre à destination des experts-comptables devient donc “client centrique“ et non plus “collaborateur centrique“. Le collaborateur de cabinet n’est pas évincé pour autant, bien au contraire, il devient le “superviseur“ d’une chaîne automatisée de production de l’information. Pour fluidifier au maximum les interactions, le cloud s’impose, pour permettre aux clients, aux robots d’acquisition de données (relevés bancaires, factures dématérialisées, télédéclarations, etc.) et aux collaborateurs de travailler en temps réel sur les mêmes données : tout est mis à disposition et partagé en temps réel au travers du cloud privé Cegid.

Enfin nous faisons tout pour permettre à l’expert-comptable de rester maître d’oeuvre de sa politique commerciale.

Non seulement tous nos modules collaboratifs sont en marque blanche totale, mais ils sont paramétrables pour permettre au collaborateur de répartir à volonté ce qui est fait par le client ou par lui-même à un instant donné car cela peut évoluer dans le temps.

Au-delà, ces services peuvent à volonté s’intégrer dans une plateforme collaborative personnalisée, à côté d’autres services, eux-mêmes inter-opérables et à l’accès sécurisé unifié avec un seul login/mot de passe.

 

La jeune profession pense Internationalet souhaite s’exporter. Quid de Cegid ailleurs que chez nous ?

Si nous avons déjà accompagné des cabinets français sur leurs implantations étrangères, les localisations fiscales et sociales représentent une difficulté pour adresser la profession d’expert-comptable à l’étranger… Pour l’instant, car cela demeure pour Cegid une orientation stratégique !

Par ailleurs, tous nos modules collaboratifs, de dématérialisation de facturation ou de comptabilité ou d’indicateurs, sont nativement multilingues, multi pays, multi devises.

Au-delà de ses solutions à destination de la profession comptable, Cegid développe très fortement son internationalisation, par croissance interne au travers de nos multiples implantations dans le monde, mais aussi au travers de croissances externes significatives. Sur le plan de nos solutions pour le marché “retail“ par exemple, une analyse internationale vient de placer Cegid dans le top 5 des éditeurs mondiaux !

Une grande fierté pour moi. Notre acquisition récente de “Technomedia“ Groupe canadien présent aux USA, en Europe et à Hong Kong, éditeur d’une suite logicielle internationale en mode Saas de gestion du capital humain pour les groupes, entreprises et organismes du secteur public, permet là aussi à Cegid d’accélérer sa stratégie de croissance dans le domaine des solutions RH innovantes et à l’international.

 

Si vous aviez un conseil à donner à un jeune professionnel, que lui diriez-vous ?

 

Il a choisi un beau métier, un vrai métier et réellement un métier d’avenir, au service des entreprises et des entrepreneurs, passionnant ! Je l’invite par ailleurs à connaître le plus intimement possible ses clients, à s’intéresser à leur profession, à leur marché, à leurs difficultés concurrentielles, à parler business avec eux avant de parler comptabilité et fiscalité. C’est comme cela qu’il les fidélisera et qu’il pourra développer ses prestations de conseils et apporter de la valeur ajoutée, ce qui fera toute sa valeur dans un environnement de plus en plus compétitif.

Et en parallèle, il doit les connecter ! Etre présent sur leur tablette, sur leur téléphone mobile. Il doit faire en sorte de connecter aussi les salariés de ses clients, de faire en sorte que ses clients apparaissent eux-mêmes modernes vis-à-vis de leurs propres salariés et clients. Il doit organiser la dématérialisation de ses archives, créer le maillage le plus dense possible entre lui et ses clients. Des acteurs pourront toujours essayer de déréglementer, de concurrencer, d’ubériser un expert-comptable isolé, pas un expert-comptable connecté !

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